Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/94

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d’accord avec les conceptions de son propre génie, en sorte qu’apprenant que le pape avait l’intention de jeter à terre l’église de Saint-Pierre pour la refaire à nouveau, il lui soumit quantité de dessins, entres autres un admirable projet où il plaçait deux campaniles encadrant la façade, comme on le voit sur le revers des médailles gravées par le fameux Carradosso (que Jules II et Léon X firent frapper par ledit Carradosso, excellent orfèvre, qui n’eut pas son pareil pour faire des coins), et sur la médaille fort belle faite par Bramante lui-même. Le pape, ayant donc résolu de commencer l’immense et formidable entreprise de Saint-Pierre, fit détruire la moitié de l’ancienne basilique et jeta, avec sa rapidité habituelle, les fondations de la nouvelle[1], désireux d’édifier une œuvre qui surpassât en beauté, en grandeur et en richesse tous les monuments de Rome créés par la puissance des princes, l’art et le génie de tant de vaillants maîtres. Les constructions s’élevèrent jusqu’à l’entablement avant la mort du pape et de l’architecte, et l’on voûta les arcs reposant sur les quatre gros pilastres avec autant d’art que de rapidité. Bramante voûta pareillement la chapelle principale où est la niche, s’appliquant en même temps à activer la construction de la chapelle dite du roi de France[2]. Il trouva le moyen de faire d’un seul coup l’ornementation de ses voûtes, en édifiant leur intrados en stuc sur des cintres reproduisant en creux les sculptures et les feuillages des voûtes, et il se servit aussi pour voûter ses arcs de ponts suspendus, que nous avons vu depuis employer par Anton da San Gallo. La corniche intérieure qui court le long de la partie que termina Bramante est d’une telle élégance qu’on ne pourrait la modifier sans la gâter. On voit encore, dans ses chapiteaux ornés de feuilles d’olivier, ainsi que dans la partie dorique de l’extérieur, quelle était la puissance de son génie. Si ses forces y avaient répondu, il aurait certainement produit plus de merveilles qu’il ne fit ; les architectes qui lui ont succédé, après sa mort, firent subir tant de changements à son plan primitif, qu’on peut dire qu’il n’en reste plus rien, si l’on excepte les quatre arcs qui soutiennent la tribune. Raphaël d’Urbin, Giuliano da San Gallo et Fra Giocondo de Vérone, qui continuèrent son œuvre après la mort de Jules II, commencèrent à l’altérer ; ensuite Baldassare Peruzzi le modifia encore en construisant dans la croisée la chapelle du roi de France, vers le Campo Santo ; puis, sous Paul III, Antonio da San Gallo le changea entièrement. Enfin Michel-Ange

  1. La première pierre fut posée le 18 avril 1506, sous le pilastre de la coupole auquel est adossée la statue de sainte Véronique.
  2. C’est à dire le bras sud de la croix.