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Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/118

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Voyages Aduentureux

y demeura, qui fut d’enuiron cinq mois, elle continua touſjours à requerir ce qu’elle deſiroit, qui eſtoit du ſecours & de la faueur, pour vanger la mort de ſon mary : ſurquoy elle alleguoit pluſieurs raiſons aſſez fortes pour n’eſtre eſconduite de ſa demande. Mais enfin reconnoiſſant le peu de ſecours que nous luy pouuions donner, & que tout noſtre fait n’eſtoit pour elle qu’vn entretien de paroles, deſquelles elle ne voyoit aucun fruit, elle ſe delibera de parler clairement à Pedro de Faria, afin de s’inſtruire de luy touchant ce qu’il luy auoit promis. Pour cét effet, l’attendant vn Dimanche à la porte de la fortereſſe, à l’heure que la place eſtoit pleine de monde, & qu’il ſortoit pour aller à la Meſſe, elle l’aborda, & alors apres s’eſtre rendu de part & d’autre les complimens, & les ceremonies accouſtumées, elle luy dit. Noble & valeureux Capitaine, ie vous ſupplie grandement par la generosité de voſtre race, que vous ne fermiez, point les aureilles à ce peu de choſe que i’ay à vous dire. Conſiderez ie vous prie qu’encore que ie ſois Mahometane, & que le grand nombre de mes pechez m’ait renduë aueugle en la claire connoiſſance de voſtre ſaincte Loy, Toutesfois pource que ie ſuis femme, & que i’ay eſté la Reyne, vous me deuez porter quelque reſpect, & regarder ma miſere auec des yeux de Chreſtien. À ces mots Pedro de Faria ne ſceut d’abord que reſpondre. Enfin poſant bas ſa tocque, il luy fit vne grande reuerence, & apres auoir eſté tous deux long-temps ſans parler, la Reyne ſalüa la porte de l’Egliſe, qui eſtoit deuant elle, puis elle parla derechef à Pedro de Faria ; Certes, luy dit-elle, ces deſirs que i’ay touſiours eu de vanger la mort de mon mary, ont eſté & ſont encore ſi grands, que i’ay deliberé de chercher tous les moyens qui me ſeront poßibles pour le faire, puiſque pour la foibleſſe de mon ſexe la fortune ne m’a permis de porter les armes. Croyant donc que celuy-cy, qui eſt le premier que ie me ſuis reſoluë d’eſprouuer, fut le plus aſſeuré & duquel i’ay fait plus d’eſtat, que de pas vn des autres, pour m’eſtre fiée à l’ancienne amitié que i’ay touſiours euë auec vous autres Portugais, & à l’obligation de laquelle ceſte fortereſſe m’eſt redeuable, ſans y comprendre pluſieurs autres conſiderations que vous ſçauez bien, ie ſuis à preſent venuë pour vous prier les larmes aux yeux, qu’au nom du Serenißime Roy de Portugal,