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de Fernand Mendez Pinto.

ce qu’ils n’euſſent auparauant oſé entreprendre, pour la crainte qu’ils auoient du Roy, ils firent vne troupe de cinq ou ſix cents, leſquels ſeparés en trois bandes s’en allerent droict à la maiſon où demeuroit Tome Lobo. L’ayant attaquée par ſix ou ſept endroits, ils y entrerent de force, quelque reſiſtance que nous peuſſions faire pour les en empeſcher, veu meſme qu’en la deffendant, vnze de nos hommes y demeurerent, du nombre deſquels eſtoient les trois Portugais que i’auois amenez de Malaca. Durant cette violence, tout ce que pût faire Tome Lobo, fut de s’eſchapper auec ſix grands coups d’eſpée, l’vn deſquels luy auoit abbatu la jouë droite, iuſqu’au col ; ſi bien qu’il penſa mourir de ce coup. Il nous fut doncques force à tous deux de leur abandonner la maiſon, enſemble toute la marchandiſe qui eſtoit dedans, & de nous retirer dans la Lanchare, où nous nous rendiſmes auec cinq garçons, & huit Mariniers, ſans ſauuer aucune choſe que ce fuſt de noſtre Marchandiſe, qui ſe montoit à cinquante mille ducats en or ſeulement, & en pierrerie. Dans cette Lanchare nous paſſaſmes toute la nuict affligez d’vne eſtrange ſorte, & touſiours au guet pour voir la fin de cette mutinerie, qui eſtoit ſemée parmy le peuple, comme i’ay deſia dit.

Alors voyans que tout alloit de mal en pis, & qu’il ne falloit point eſperer de rien ſauuer de noſtre marchandiſe, nous treuuaſmes plus à propos de nous en aller à Patane, que de nous mettre en danger d’eſtre tuez, comme plus de quatre mille perſonnes le furent. Auec cette reſolution nous partiſmes de ce lieu, & dans ſix iours arriuaſmes à Patane. Là nous fuſmes fort bien receus des Portugais qui eſtoient en ce pays, auſquels nous racontaſmes tout ce qui s’eſtoit paſſé dans Pan, & le piteux eſtat où nous auions laiſſé cette miſerable ville : Cét accident les affligea tous d’vne eſtrange ſorte, ſi bien que deſirant d’y apporter quelque remede, emeus à cela d’vne veritable affection de bons Portugais, ils s’en allerent tous au Palais du Roy, où ils luy firent leurs plaintes du tort que l’on auoit fait au Capitaine de Malaca. Surquoy ils le prierent qu’il leur fut permis de recouurer, s’il