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de Fernand Mendez Pinto.

mutiner le peuple. Le matin ſuiuant nous arriuaſmes à vne riuiere nommée Toobaſoy, où Antonio de Faria ancra du coſté de dehors, à cauſe que le Pilote ne ſe voulut hazarder d’y entrer, pour n’y auoir iamais eſté, & pour ne cognoiſtre le fonds d’icelle. Comme l’on conteſtoit ſur ce ſuiet, les vns pour y entrer, les autres pour n’en rien faire, nous viſmes vne grande voile qui de haute mer venoit chercher ce port. Alors bien-aiſes de la receuoir auec tous les appareils neceſſaires à noſtre deſſein, nous l’attendiſmes ſur l’ancre, ſans bouger d’où nous eſtions. Comme elle fut pres de nous, nous la ſaluaſmes, & arboraſmes la banniere du pays, qu’ils appellent Charachina, qui eſt le ſignal d’amitié, accouſtumé entr’eux en ſemblables occaſions. Ceux du Nauire au lieu de nous reſpondre en la meſme ſorte, comme ils ſembloient le deuoir faire par raiſon & recognoiſſans que nous eſtions Portugais, à qui ils ne vouloient aucun bien, dirent vne infinité de paroles vilaines & deshonneſtes, & nous firent voir ſur le haut de leur poupe, le derriere d’vn eſclaue Cafre, auec vn grand bruit & tintamarre de trompettes, tambours, & cloches ; en se mocquant de nous comme par meſpris. Dequoy Antonio de Faria ſe ſentit tellement offencé, qu’il leur fit tirer vne volée de canon, pour voir ſi cela les rendroit plus courtois. A cette canonnade ils firent reſponſe de cinq balles, ſçauoir trois de faulconneaux, & de deux autres petites pieces de campagne, que les Portugais appellent Camellos. Ce qui nous eſtonna fort, ſi bien que prenans conſeil de ce que nous ferions alors, nous reſoluſmes de demeurer au lieu où nous eſtions, pour ne iuger à propos d’entreprendre vne choſe ſi douteuſe, iuſqu’à ce que le lendemain le iour nous fit recognoiſtre les forces de ce vaiſſeau pour l’attaquer par apres auec plus d’aſſeurance, ou le laiſſer paſſer ; ce conſeil ſembla bon à Antonio de Faria, & à tous nous autres, qui faiſans bonne garde, & donnans ordre au neceſſaire, demeuraſmes en ce lieu attendant le iour, & ſur les deux heures apres minuict nous viſmes ſur l’horizon de la mer trois choſes noires à fleur d’eau, que nous ne puſmes bien reconnoiſtre, ce qui fut cauſe que nous eſueillaſmes Antonio de Faria,