Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
Voyages Aduentureux

ce que cela luy importoit principalement. Puis comme il fut aſſeuré qu’vn des ſeize qu’il auoit ſauuez, eſtoit le Corſaire Hinimilau, Capitaine du Iunco qu’il auoit pris, il commanda qu’on l’amenaſt deuant luy, & apres l’auoir fait panſer de deux playes qu’il auoit receuës, il luy demanda qu’eſtoient deuenus les ieunes hommes Portugais qu’il tenoit eſclaues ? A quoy le Corſaire forcené de rage, ayãt reſpondu qu’il n’en ſçauoit rien, ſur la ſeconde demande qui luy fut faite auec menaces, il dit qu’on luy donnat premierement vn peu d’eau, à cauſe que la ſeichereſſe luy faiſoit tarir la parole, & qu’il verroit par apres ce qu’il auroit à reſpondre. Là deſſus apres qu’on lui euſt apporté de l’eau, qu’il beut ſi auidemment qu’il la reſpandit preſque toute ſans en eſtre deſalteré, il demanda qu’on luy en baillat derechef, & que ſi on luy en vouloit donner à boire tout ſon ſaoul, en tel cas il s’obligeoit par la loy de l’Alcoran de Mahomet, à confeſſer volontairement tout ce que l’on deſireroit ſçauoir de luy. Antonio de Faria luy en fit donner alors, enſemble vne boëtte de confitures, dont il ne voulut manger ; mais en recompenſe il beut vne grande quantité d’eau. Puis s’eſtant derechef enquis de luy touchant les ieunes hommes Chreſtiens, il luy reſpondit, qu’il les treuueroit dans la chambre de prouë. A meſme temps Antonio de Faria les enuoya querir par trois ſoldats, qui n’eurent pas ſi toſt ouuert l’eſcotille pour leur dire qu’ils vinſſent en haut, qu’ils les virent eſtendus emmy la place tous eſgorgez. Dequoy ils demeurerent ſi effrayez, qu’ils s’eſcrierent à l’inſtant, Ieſus, Ieſus, Monſieur venez ie vous prie, & vous verrez vn ſpectacle fort pitoyable. Antonio de Faria & tous ceux qui eſtoient pres de luy, coururent incontinent vers la prouë. Mais lors que le Capitaine vit ces ieunes garçons eſtendus les vns ſur les autres, il demeura ſi hors de ſoy-meſme, que ne pouuant retenir ſes larmes, & leuant ſes yeux au Ciel auec les mains iointes, Mon Seigneur Ieſus-Chriſt, dit il tout haut, & tout en colere, benit ſoyez vous à iamais, de ce que vous eſtes ſi miſericordieux & ſi pitoyable, que de ſouffirir vne offenſe ſi grande que celle-cy. Cela dit, il les fit apporter en haut ſur le tilla, où il n’y auoit celuy de la