peuſſent faire leur voyage au premier bon vent qu’ils auroient. Ainſi apres y auoir ſeiourné douze iours, auec vn grand deſir d’effectuer l’accord qu’ils auoient paſſé enſemble ; la fortune voulut que par la conionction de la nouuelle Lune d’Octobre, que nous auions tous apprehendée, il ſuruint vne tempeſte pluuieuſe & venteuſe, la bourraſque de laquelle eſtoit ſi grande, qu’elle ne paroiſſoit eſtre choſe naturelle, par ce que nous auions manqué de cables, & que ceux que nous auions, eſtoient preſque demy pourris. Sitoſt que la mer commença de s’enfler, & que le vent de Sud nous euſt pris à découuert, comme nous trauerſions la coſte, il ſuruint des vagues ſi groſſes, qu’encore que nous euſſions cherché tous les moyens de nous ſauuer, coupant les maſts, & defaiſant les chapiteaux, & les œuures mortes de poupe à prouë, iuſques à ietter dans la mer quantité de balots de marchandiſe, accommoder les calabrets & autres cordes pour les attacher à d’autres anchres ; & ramener la groſſe artillerie qui eſtoit hors de ſa place. Tout cela neantmoins ne fut pas capable de nous pouuoir ſauuer, pour ce que l’obſcurité de la nuict eſtoit ſi grande, & le temps ſi froid, la mer ſi haute, le vent ſi grand, & la tempeſte ſi horrible qu’en ces extremitez rien ne nous pouuoit deliurer que la miſericorde de Dieu, que nous reclamions tous à noſtre aide, auec des cris & des larmes continuelles.
Mais dautant que pour nos pechez nous ne meritions que Dieu nous fit cette grace, ſa Diuine Iuſtice ordonna qu’enuiron les deux heures apres minuict il ſuruint vn tourbillon de vent ſi fort, que les quatre vaiſſeaux, tels qu’ils eſtoient, s’en allerent à trauers, & ſe briſerent en pieces contre la côte, tellement qu’il y mourut cinq cens quatre-vingt ſix hommes, parmy leſquels il y auoit huit Portugais ; & Dieu permit que le ſurplus des gens qui eſtoient en tout cinquante trois, furent ſauuez, dont il y en auoit vingt-trois de Portugais, & le ſurplus eſclaues & mariniers. Apres ce triſte naufrage nous allaſmes tous nuds & bleſſez nous ſauuer dans vne mare, iuſques au lendemain matin, que le iour eſtant venu nous retournaſmes au bord de la mer, que nous treuuaſmes