Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
Voyages Aduentureux

lez que nous eſtions, nous nous ſauuaſmes, comme ie diray cy-apres.




Des autres trauaux que nous euſmes en ceſte Iſle, & de quelle ſorte nous fuſmes ſauuez miraculeuſement.


Chapitre LIV.



Estans eſchappez de ce miſerable naufrage, c’eſtoit pitié de voir cõme quoy nous allions tous nuds deſſus le riuage, ſouffrans par les bois vn ſi grand froid, & vne faim ſi cruelle, que pluſieurs de nous parlants les vns aux autres, tomboient ſoudainement en terre tous morts de pure foibleſſe, qui ne prouenoit pas tant d’vn défaut de viures, que de ce que les choſes que nous mangions, eſtoient preiudiciables, à cauſe qu’elles eſtoient toutes pourries, ioint qu’elles eſtoient ſi puantes & ſi ameres, que personne n’en pouuoit ſouffrir le gouſt dans ſa bouche. Mais comme noſtre Dieu eſt vn bien infiny, il n’y a lieu ſi eſcarté, ny ſi deſert où ſe puiſſe cacher la miſere des pecheurs, qu’il ne les y ſecoure auec des effects de ſa miſericorde infinie, ſi eloignée de noſtre imagination, que ſi nous nous repreſentions deuant les yeux la voye par où ils viennent, nous verrions clairement que ce ſont œuures miraculeuſes de ſes diuines mains, pluſtoſt qu’effects de nature, où beaucoup de fois noſtre foible iugement ſe laiſſe tromper ; ce que ie dis à cauſe que ce meſme iour que l’on celebre la feſte de S. Michel, comme nous verſions des larmes en abondance, n’eſperans plus au ſecours humain, ainſi que nous le faiſoit voir la foibleſſe de noſtre misere, & noſtre peu de foy ; il paſſa inopinément volant par-deſſus nous vn oiſeau appellé Milan, ou autrement Huas, qui venoit de derriere vne pointe que l’Iſle faiſoit vers le coſté du Sud, & battant l’air de ſes ailes, laiſſa cheoir fortuitement vn poiſſon nommé Mugin, preſque d’vn pied de long. Ce poiſſon eſtant tombé pres d’Antonio de Faria, cela le fit demeurer confus & irreſolu iuſqu’à ce qu’il euſt reconneu ce que c’eſtoit ; tellement qu’apres l’a-