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Voyages Aduentureux

quel ils frappoient cinq fois de temps en temps, & en faiſoient autant auec les mains, diſans d’vne voix fort caſſe, Cur cur hinau falem. Alors Antonio de Faria leur fit monſtrer cinq ou ſix pieces d’eſtoffe de ſoye, enſemble quantité de pourcelaines, pour les obliger à croire que nous eſtions marchands ; ce qu’ils furent bien aiſe de voir. Toutes ces perſonnes tant hommes que femmes, eſtoient veſtues d’vne meſme façon, ſans qu’en leur habillement il y euſt d’autre difference, ſinon que les femmes portoient au milieu de leur bras de gros braſſelets d’eſtain, & qu’elles auoient les cheueux beaucoup plus longs que les hommes, où elles portoient quantité de fleurs ſemblables à celles que nous appelions flambes. Dauantage en leur col elles auoient des chaiſnes de coquilles rouges, qui n’eſtoient gueres moins grandes que celles des huiſtres ; pour les hommes ils portoient en main de gros baſtons garnis iuſqu’au milieu des meſmes peaux dont on les voyoit couuerts. Au reſte ils auoient tous vne mine fort farouche, les levres groſſes, le nez plat, les narines larges, & tout le reſte du corps enorme, mais non pas tant comme nous croyons ; car Antonio de Faria les ayant fait meſurer, il ſe trouua que le plus haut d’entr’eux ne paſſoit pas dix pans & demy de hauteur, reſerué vn vieillard qui en auoit preſque onze. Quant aux femmes leur taille n’eſtoit pas tout à fait de dix pans : à voir leur mine ie iugeay auſſi toſt qu’ils eſtoient fort rudes & groſſiers, & moins raiſonnables que tous les autres peuples que nous auions veus en nos conqueſtes. Or Antonio de Faria eſtant bien aiſe qu’ils ne fuſſent point là venus inutilement, leur fiſt donner ſoixante pourcelaines, vne piece de taffetas verd, & vn panier tout plein de poivre ; dequoy ils teſmoignerent eſtre ſi contens, que ſe proſternans à terre, & leuans les mains au Ciel, ils ſe mirent tous à dire, Vumguabileu opomguapau lapaon lapaon lapaon ; ce que nous priſmes pour des paroles de remerciment à leur mode ; ioint qu’il nous fut bien aiſé de le iuger par leur façon de faire, à cauſe que par trois diuerſes fois ils ſe ietterent par terre, nous donnant les trois vaches & le cerf, enſemble vne grande quantité de poirée ; puis ils dirent tous enſemble auec vne voix fort deſagreable,