Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
Voyages Aduentureux

me lieu où nous auions fait naufrage. Comme en effet nous y arriuaſmes le iour d’apres enuiron le Soleil couché, & trouuaſmes le long du riuage les corps que la mer y auoit iettez, ſur leſquels nous recommançaſmes nos plaintes & nos triſteſſes. Le lendemain matin nous les enſeueliſmes dans le ſable, pour empeſcher qu’ils ne fuſſent mangez des Tygres, dont ce païs eſtoit plein, à quoy nous employaſmes la meilleure partie du iour auec beaucoup de peine ; car cõme ils eſtoient trente-ſix de nombre deſia corrompus & pourris, la puanteur en eſtoit inſupportable, joint que pour faire leurs foſſes nous n’auions d’autres inſtrumens que nos mains, & employons bien à chacun vne demie heure de temps. Apres que ces pauures corps furent enterrez, nous allaſmes nous retirer dans vne mare où nous paſſaſmes toute la nuit, & choiſiſmes ce lieu pour retraite de peur des Tygres ; de là nous continuaſmes noſtre chemin vers le Nord, & ce par des precipices & des boccages ſi eſpais, qu’en certains endroits nous ne pouuions paſſer que fort difficilement. Apres auoir marché trois iours nous arriuaſmes enfin en vn petit deſtroit, ſans auoir iamais rencontré perſonne, nous eſtans reſolus de le paſſer à nage, le malheur voulut que les quatre premiers qui s’y ietterent dedans, qui furent trois Portugais & vn ieune garçon, s’y noyerent miſerablement, pource qu’eſtant grandement foibles, le deſtroit large, & le courant d’eau fort grand, il leur fut force de ſe rendre quand ils furent au milieu, les trois Portugais eſtoient hommes fort honorables, & dont il y en auoit deux de freres, l’vn appellé Belchior Barboſa, & l’autre Gaſpar Barboſa. Quant au troiſieſme nommé François Borges Cayciro, il eſtoit auſſi leur couſin, tous trois natifs de Ponte de Lima, ville en Portugal, & fort accomplis en valeur. Nous ne reſtaſmes donc plus qu’onze de nombre auec trois valets, qui tous enſemble voyant l’infortuné ſuccés de nos compagnons, & comme de iour en autre nous diminuions peu a peu, nous euſmes recours aux larmes & aux ſouſpirs, comme gens qui ne nous pouuions promettre autre choſe, ſinon qu’il arriueroit de nous meſmes ce que nous auions veu arriver d’autruy. Apres que nous euſmes paſſé