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de Fernand Mendez Pinto.

la roſée de la nuict : venez donc à la bonne heure, car ie vous ſouhaitte encore vne fois, que voſtre entrée en ma maison ſoit auſſi heureuſe ; comme le fuſt anciennement celle que fiſt en la terre ſaincte de Ieruſalem, la vertueuſe Reine Heleine. Finiſſant ſon diſcours là deſſus, elle nous fiſt aſſeoir ſur des nattes, qui eſtoient eſloignées d’elle de cinq ou ſix pas ſeulement. Alors apres nous auoir teſmoigné par ſon action vn contentement extraordinaire, elle s’enquit de nous de certaines choſes qu’elle deſiroit apprendre, & pour leſquelles elle nous aſſeura d’auoir vne grande inclination. Premierement elle nous demanda le nom de noſtre S. Pere le Pape, enſemble combien il y auoit de Roys en la Chreſtienté, & ſi quelqu’vn de nous n’auoit point fait le voyage de la Terre ſaincte. Surquoy elle rendoit grandement coupables les Princes Chreſtiens, pour l’extreme nonchalance & le peu de ſoin qu’ils teſmoignoient auoir à ruiner la puiſſance du Turc, qu’elle diſoit eſtre l’ennemy commun qui les maiſtriſoit. Elle voulut auſſi ſçauoir de nous, ſi le pouuoir du Roy de Portugal eſtoit grand aux Indes, & par meſme moyen les fortereſſes qu’il y auoit, les lieux où elles eſtoient placées, & de quelle façon ils ſe defendoient. Elle nous fiſt pluſieurs autres ſemblables demandes, auſquelles nous reſpondiſmes du mieux que nous pûmes, afin de taſcher à la contenter : elle nous congedia là deſſus, & nous nous en retournâmes à noſtre logement, là nous demeuraſmes neuf iours, que nous employaſmes à paſſer le temps à l’entretien de cette Princeſſe, auec qui nous euſmes tout plein d’autres deuis ſur diuers ſuiets. Ce terme eſtant expiré, nous allaſmes prendre congé d’elle, & luy fuſmes baiſer les mains. En les luy baiſant elle nous teſmoigna vn reſſentiment de triſteſſe, qu’elle auoit de nous voir partir. Certainement nous dit elle, ie ſuis faſchée de ce que vous auez à gré de vous en retourner ſi toſt : neantmoins puiſque c’eſt vne choſe qu’il faut faire, & dont i’ay du deſplaiſir, allez vous en à la bonne heure, & puiſſe t’elle eſtre auſſi bonne, & qu’à voſtre arriuée aux Indes vous ſoyez auſſi bien receus des voſtres, comme l’ancien Roy Salomon receut autresfois noſtre Royne de Saba dans l’admirable palais de ſa grandeur. Alors auparauant que partir elle nous fist donner à tous quatre-vingt