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Voyages Aduentureux

iuſques aux oreilles du Nautaquin qui en ce temps là s’amuſoit à courir des cheuaux qu’on luy auoit amenez de dehors. Or comme il ne ſceut que penſer de cette nouueauté, il fit incontinent appeller Zeimoto en ce meſme mareſcage où il chaſſoit : mais quand il le vid venir auec ſa harquebuze ſur ſon eſpaule, enſemble deux Chinois auec luy chargez de gibier, il commença de faire vn ſi grand eſtat de cela ; qu’il ne le pouuoit aſſez admirer. Car comme par le paſſé on n’auoit veu en ce pays aucune ſorte de baſton à feu, l’on ne pouuoit comprendre ce que c’eſtoit, de maniere qu’à faute d’entendre le ſecret de la poudre ils demeurerent tous d’accord qu’il falloit neceſſairement que ce fut quelque ſortilege. Là deſſus Zeimoto les voyant ſi eſtonnez, & le Nautaquin ſi content, tira trois coups deuant eux, dont l’effet fut tel qu’il tua vn milan & deux tourterelles. En vn mot, pour ne perdre le temps à enchérir cecy par les paroles, ou par la loüange, enſemble pour m’excuſer de le raconter par le menu, parce que cela paſſeroit pour vne choſe incroyable, ie n’en diray pas dauantage, ſinon que le Nautaquin fit monter Zeimoto à la crouppe de ſon cheual, & qu’ainſi accompagné d’vne foule de peuple & de quatre Huiſſiers qui auoient en mains des baſtons ferrez, & leſquels s’en alloient criant parmy le peuple dont le nombre eſtoit infiny. L’on faict à ſçauoir que le Nautaquin Prince de cette Iſle de Tanixumaa & Seigneur de nos teſtes, enjoint & commande expreſſement, que tous vous autres, qui habitez la terre qui eſt entre les deux mers, ayez à honorer ce Chenchicogin du bout du monde : car dés auiourd’huy & cy apres il le fait ſon parent, de meſme que les Iacharons, qui ſont aßis prés de ſa perſonne ; & quiconque ne le fera de bonne volonté, qu’il s’assure de perdre la teſte. À quoy tout le peuple reſpondit auec vn grandbruit : Nous le ſerons ainſi pour iamais. Auec cette pompe Zeimoto eſtant arriué à la premiere place du Palais, le Nautaquin mit pied à terre, & le prit par la main. Cependant que nous autres deux demeuraſmes derriere vn aſſez long-temps, & le mena touſiours à ſon coſté, iuſques à vne chambre, où il le fit aſſeoir à ſa table ; & pour l’honorer plus que tous les autres il voulut encore qu’il y couchaſt cette nuit, le fauoriſant beaucoup à l’aduenir,