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Voyages Aduventureux

Le Roy m’ayant oüy parler de ceſte force fut quelque temps à penſer là deſſus, puis pour reſpondre à mes paroles ; Ha Portugais, me dit-il, puiſque tu m’obliges à te dire librement ce que ie penſe, ne me croy point deſormais ſi ignorant, que tu me puiſſe iamais perſuader, ny que ie ſois capable de m’imaginer que celuy qui durant trente ans n’a peu ſe venger luy meſme, ait moyen de me ſecourir à preſent en ſi peu de temps, ou bien s’il te ſemble que ie me trompe, dis moy, ie te prie, d’où vient que ton Roy & ſes Gouuerneurs n’ont point empeſché ce cruel Roy d’Achem de gaigner ſur vous la fortereſſe de Pazem, & la Galere qui alloit aux Moluques ; enſemble trois Nauires en Queda, & le Galion de Malaca, au temps que Garcia y eſtoit Capitaine, ſans y comprendre ny les quatre Fuſtes qui furent priſes depuis à Salengor, ny les deux Nauires qui venoient de Bengala, ny le Iunco, & le vaiſſeau de Lopo Chanoca, ny beaucoup d’autres vaiſſeaux, dont ie ne peux me ſouuenir maintenant, dans leſquels, comme l’on m’a aſſeuré, cet inhumain a mis à mort plus de mille Portugais, & faict vn butin extrémement riche. Veux-tu dire que cela n’eſt pas vray ? Que ſi cela eſt, & s’il arrive que ce Tyran vienne encore vne fois contre moy, comment veux-tu que ie m’aſſeure ſur la parole de ceux qui ont eſté vaincus ſi ſouuent : il m’eſt donc bien force de demeurer tel que ie ſuis auec trois de mes enfans morts, & la pluſpart de mon Royaume deſtruit ; ioinct que vous-meſmes n’eſtes gueres plus aſſeurez que moy dans voſtre fortereſſe de Malaca. Il faut que i’aduouë que ceſte reſponſe faite auec tant de reſſentiment, me rendit tout à fait honteux, reconnoiſſant qu’il ne diſoit rien que de veritable, tellement que ie n’oſay luy parler dauantage de ſecours, ny luy reiterer pour noſtre honneur les promeſſes qu’auparauant ie luy auois faites.




De ce que ie fis auec le Roy des Batas, iuſqu’à ce que ie m’embarquay pour aller à Malaca.


Chapitre XVIII.



Le Mahometan & moy nous en eſtant retournez en noſtre logis, ne partiſmes encore de quatre iours, & priſmes ce temps pour acheuer de faire embarquer cent barres d’eſtain, & trente de benjoüin, qui eſtoient