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Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/82

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Voyages Aduventureux

n’eſtant pas content, pour cuiter les murmures qu’vn acte ſi meſchant & ſi horrible euſt peu cauſer parmy le peuple, il fit publier que ſur peine d’vne mort fort rigoureuſe, aucun ne fuſt ſi hardy que de parler de ce qui s’eſtoit paſſé, pour raiſon dequoy il nous fut dit en ce lieu, que par vne nouuelle maniere de tyrannie il auoit deſia fait mourir les Principaux de ſon Royaume, & quantité de Marchands, dont il auoit fait confiſquer les biens à ſon profit, & mis par ce moyen plus de deux millions d’or dans ſes coffres. Ainſi lors que nous y arriuaſmes, nous apperceuſmes que l’apprehenſion eſtoit ſi grande parmy le peuple, qu’il n’y auoit celuy pour hardy qu’il fuſt, qui oſaſt laſcher la moindre parole ſur ce ſuiet. Or dautant que le Mahometan mon compagnon, qui s’appelloit Coja Ale eſtoit naturellement libre de la langue, & homme qui ne feignoit point de dire tout ce qui luy venoit à la fantaiſie, il ſe fit accroire que pour eſtre Eſtranger, & facteur du Capitaine de Malaca, il pouuoit auec plus de liberté que ceux du païs, dire tout ce que bon luy ſembloit, ſans que le Roy le deuſt punir pour cela, comme ſes ſuiets. Mais il ſe treuua bien loin de ſon compte, & ceſte preſomption luy couſta la vie, car eſtant inuité en vn feſtin par vn autre Mahometan comme luy, qui ſe diſoit ſon parent, qui eſtoit Marchand Eſtranger, natif de Patane, comme l’vn & l’autre ſe furent bien remplis de vin & de viande, à ce que i’ay ſceu depuis, ils ſe mirent à diſcourir hardiment, & ſans aucun reſpect des brutalitez, & des parricides du Roy, dequoy ils eurent à peine ouuert la bouche, que le Roy en eſtant aduerty par des eſpions qu’il auoit de tous coſtez pour ce ſuiet, fit incontinent aſſieger la maiſon, & prendre les conuiez, qui eſtoient dix-ſept de nombre : ces miſerables eſtans amenez deuant luy, eſtroitement garottez, il ne les euſt pas ſi toſt veus, que ſans obſeruer aucune forme de Iuſtice, & ſans vouloir eſcouter leurs raiſons bonnes ou mauuaiſes, il les fit tous cruellement mettre à mort, ils finirent leurs iours d’vn ſupplice qu’ils appellent entr’eux Gregoge, qui eſt tel, qu’on ſcie les pieds, les mains, & le col à ceux qu’on y a condamnez, & finalement le milieu du corps iuſqu’à