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Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/83

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de Fernand Mendez Pinto.

l’eſchine, comme ie l’ay veu depuis. Ceſte execution faite, le Roy craignant que le Capitaine de Malaca ne s’offençaſt de ce qu’il auoit ainſi fait mourir ſon facteur auec les autres ſeditieux, & que pour ce ſuiet il ne fiſt arreſter quelques marchandiſes qu’il auoit à Malaca, m’enuoya querir la nuict ſuiuante au Iurupango où i’eſtois endormy, ſans auoir ſceu aucune choſe de ce qui s’eſtoit paſſé ; ie m’en allay donc au Palais du Roy à l’heure de minuit, & vis dans la baſſe cour vn grand nombre d’hommes armez de cuiraſſes, de coutelas, & de lances ; & il faut que i’aduouë que la veuë de ces gens-là me ſembla vne nouueauté ſi eſtrange, qu’elle me mit dans vne confuſion de défiance, & de penſées, pour n’eſtre aduerty d’où cela pouuoit proceder, & craignant que ce ne fût quelque trahiſon pareille à celles qu’ils ont autresfois pratiquées contre nous, ie voulus m’en retourner : ceux qui me menoient, connoiſſans que ma peur venoit de ces ſoldats que ie voyois ainſi en armes, me dirent que ie n’apprehendaſſe aucune choſe, & que c’eſtoient des gens que le Roy enuoyoit dehors pour prendre vn voleur. Voila ce qu’ils me dirent pour me raſſeurer, dequoy toutesfois ie fus ſi peu ſatisfait, qu’vne ſoudaine peur me ſaiſiſſant à l’inſtant, il ne me fut pas poſſible de proferer la moindre parole qui leur fuſt intelligible. Neantmoins m’eſtant vn peu remis, ie leur fis entendre le mieux que ie peus, qu’ils me permiſſent de m’en retourner au vaiſſeau, pour y chercher des clefs que i’y auois oubliées, & que pour recompenſe ie leur baillerois quarante eſcus en or. À quoy les ſept hommes qui me menoient firent reſponſe, qu’ils ne me laiſſeroient point partir de-là, quand meſme ie leur donnerois tout l’argent de Malaca, & que s’ils m’accordoient cela, le Roy leur feroit trancher la teſte. Ceſte reſponſe redoubla mon apprehenſion ; Ioinct qu’en meſme temps ie me vis enuironné de quinze ou vingt de ceux qui eſtoient en armes, qui me garderent toute la nuict. Le lendemain matin ils s’en allerent dire au Roy que i’eſtois là ; tellement qu’vn peu apres l’on me fit entrer pour parler à luy. Il faut que i’aduouë que ie n’eus iamais ſi belle peur, & que i’eſtois alors plus mort que