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de Fernand Mendez Pinto.

capable de me remettre, il me fit apporter vn pot tout plein d’eau, de laquelle ie beu quantité, auec cela il commanda à vn des ſiens de me faire vent auec vn eſuentail, afin de me rafraiſchir. En ceſte action ſe paſſa vne bonne heure de temps, à la fin de laquelle ayant recogneu que la peur m’auoit quitté peu a peu, & que ie pouuois reſpondre d’vn bon ſens aux demandes qu’il me feroit. Portugais, me dit-il, ie ſçay bien que les iours paſſez l’on t’a dit que i’ay tué mon Pere, comme en effet ie l’ay mis à mort, pource que i’ay ſceu qu’il me vouloit tuer luy-meſme, pouſſé à cela par les rapports de quelques eſclaues qui luy auoient fait accroire que ma mere eſtoit enceinte de mon fait, dequoy iamais ie n’ay eu la moindre penſée : par où tu peux voir ce que peuuent les mauuaiſes langues. Il eſt bien vray qu’eſtant aſſeuré que ſans aucune raiſon il vouloit adiouſter foy à ces faux rapports, & meſmes qu’il auoit deſia conſpiré contre ma vie, ie l’ay preuenu pour m’exempter de danger, tellement que par ce moyen ie l’ay pris dans les pieges que luy-meſme m’auoit tendus. Mais Dieu ſçait combien c’a eſté contre ma volonté que telle choſe eſt aduenuë, & comme quoy i’ay touſiours fait gloire de luy rendre les deuoirs d’vn fils tres-obeïſſant, comme l’on peut voir encore à preſent : car pour empeſcher que ma mere ne reſte point ſeule triſte & deſolée, comme font beaucoup d’autres vefues, me voyant eſtre la cauſe de ſon malheur, & obligé de la ſoulager, ie te laiſſe à penſer maintenant ſi l’on me doit blaſmer autrement qu’à tort, puiſque pour elle i’ay refuſé pluſieurs grands partis que l’on m’auoit propoſés, tant à Pataue, Berdio, Tanauçarin, Siaca, Iambe, qu’en Andragie, qui n’eſtoient pas moins que ſœurs & filles de Roys que l’on me vouloit donner auec de riches doüaires. Voyant doncques que l’on auoit ſemé ces faux bruits de moy, pour arreſter les langues des meſdiſans qui parlent effrontément de tout ce qui leur vient en la penſée, i’ay fait publier que nul ne fut ſi hardy de parler de ceſte affaire. Mais dautant que ſans auoir eſgard à mes defenſes, ce tien compagnon que tu vois là eſtendu en la compagnie de ces autres chiens tels que luy, dit hier de moy