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Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/86

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Voyages Aduentureux

publiquement tant de mal, que i’ay honte de le raconter, alleguant meſchamment que i’eſtois vn pourceau, ou pire qu’vn pourceau meſme, & ma mere vn chienne chaude : pour le punir de ſes calomnies, & conſeruer mon honneur, i’ay eſté contraint de le faire executer, enſemble ces autres chiens qui n’ont pas eſté moins médiſans que luy. C’eſt pourquoy ie te prie inſtamment, qu’en qualité de mon amy tu ne treuues point eſtrange mon procedé, pource qu’autrement i’en ſerois fort affligé. Que ſi de fortune tu t’imagines que ie l’aye fait à deſſein, afin de prendre la marchandiſe du Capitaine de Malaca ; aſſeure-toy que ie n’en ay iamais eu la volonté. Car c’eſt vne choſe que tu luy peus certifier veritablement ; meſme ie te iure par ma Loy, que i’ay touſiours eſté grand amy des Portugais, & le ſeray toute ma vie. Alors ayant vn peu relaſché de l’émotion que i’auois euë n’a guere, ie luy reſpondis que ſon Alteſſe auoit fort obligé ſon grand amy & frere le Capitaine de Malaca, par l’execution de ce Mahometan, qui auoit deſrobé vne partie de la marchandiſe dont il eſtoit conducteur, & reconnoiſſant que ſa meſchanceté eſtoit découuerte, il m’auoit voulu empoiſonner par deux fois ; à quoy i’adiouſtay que ce chien eſtant yure ne ceſſoit d’aboyer contre tout le monde, & diſoit tout ce qui luy venoit à la bouche. Ceſte reſponſe ainſi faite à l’improuiſte, & de telle ſorte que ie ne ſçauois ce que ie diſois, ne laiſſa pas de contenter le Roy, qui me faiſant approcher de luy ; Certainement, continua-t’il, par ce que tu viens de me reſpondre, ie connois que tu es homme de bien, & grandement mon amy ; car pour ce que tu es tel, tu expliques mes actions en bonne part ; au contraire de ces chiens, ou de ces mâtins que tu voy là couchez & veautrez dans leur propre ſang. Ayant dit cela, il oſta de ſa ceinture vne bajonette garnie d’or, & me la donna, auec vne lettre qu’il addreſſoit à Pedro de Faria : il me congedia par meſme moyen auec de tres-foibles excuſes, de ce qu’il auoit fait tuer ce Mahometan ; ie me ſeparay donc d’auec luy le mieux que ie peus, l’aſſeurant que ie tarderois encore en ce lieu dix ou douze iours. Ie ne le fis pas neantmoins, & m’embarquay tout