Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/325

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prends bien garde, mon enfant, de suivre le mauvais exemple de ce fripon. Il faut qu’un valet serve son maître avec autant de fidélité que de zèle, et s’efforce de devenir vertueux par le travail, s’il a le malheur de ne l’être point par nature. En un mot, don Ignacio ne perdait aucune occasion de me porter à la vertu ; et ses exhortations faisaient sur moi un si bon effet, que je n’eus pas la moindre tentation de lui jouer quelque tour pendant quinze mois que je demeurai chez lui.

J’ai déjà dit que le docteur Ipigna était originaire de Madrid ; il y avait une parente appelée Catalina, qui était femme de chambre de Mme  la nourrice. Cette soubrette, qui est la même dont je me suis servi depuis pour tirer de la tour de Ségovie le seigneur de Santillane, ayant envie de rendre service à don Ignacio, engagea sa maîtresse à demander pour lui un bénéfice au duc de Lerme. Ce ministre le fit nommer à l’archidiaconat de Grenade, lequel, étant en pays conquis, est à la nomination du roi. Nous partîmes pour Madrid sitôt que nous eûmes appris cette nouvelle, le docteur voulant remercier ses bienfaitrices avant que d’aller à Grenade. J’eus plus d’une occasion de voir Catalina et de lui parler. Mon humeur enjouée et mon air aisé lui plurent ; de mon côté, je la trouvai si fort à mon gré, que je ne pus me détendre de répondre aux petites marques d’amitié qu’elle me donna ; enfin nous nous attachâmes l’un à l’autre. Pardonnez-moi cet aveu, ma chère Béatrix ; comme je vous croyais infidèle, cette erreur doit me sauver de vos reproches.

Cependant le docteur don Ignacio se préparait à partir pour Grenade. Sa parente et moi, effrayés de la prochaine séparation qui nous menaçait, nous eûmes recours à un expédient qui nous en préserva : je feignis d’être malade, je me plaignis de la tête, je me plaignis de la poitrine, et je fis toutes les démonstrations d’un homme accablé de tous les maux du monde. Mon maître appela un médecin, ce qui me fit trembler,