Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/54

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Je n’en fus pas quitte pour les accolades des acteurs et des actrices. Il me fallut essuyer les civilités du décorateur, des violons, du souffleur, du moucheur et du sous-moucheur de chandelles, enfin de tous les valets de théâtre, qui, sur le bruit de mon arrivée, accoururent pour me considérer. Il semblait que tous ces gens-là fussent des enfants trouvés qui n’avaient jamais vu de frère.

Cependant on commença la pièce. Alors quelques gentilshommes qui étaient dans les foyers coururent se placer pour l’entendre ; et moi, en enfant de la balle, je continuai de m’entretenir avec ceux des acteurs qui n’étaient pas sur la scène. Il y en avait un parmi ces derniers qu’on appela devant moi Melchior. Ce nom me frappa. Je considérai avec attention le personnage qui le portait, et il me sembla que je l’avais vu quelque part. Je me le remis enfin, et le reconnus pour ce Melchior Zapata, ce pauvre comédien de campagne, qui, comme je l’ai dit dans le premier volume de mon histoire, trempait des croûtes de pain dans une fontaine.

Je le pris aussitôt en particulier, et je lui dis : Je suis bien trompé, si vous n’êtes pas ce seigneur Melchior avec qui j’ai eu l’honneur de déjeuner un jour au bord d’une claire fontaine, entre Valladolid et Ségovie. J’étais avec un garçon barbier. Nous portions quelques provisions que nous joignîmes aux vôtres, et nous fîmes tous trois un petit repas qui fut assaisonné de mille agréables discours. Zapata se mit à rêver quelques moments, ensuite il me répondit : Vous me parlez d’une chose que j’ai peu de peine à me rappeler. Je revenais alors de débuter à Madrid, et je retournais à Zamora. Je me souviens même que j’étais fort mal dans mes affaires. Je m’en souviens bien aussi, lui répliquai-je ; à telles enseignes que vous portiez un pourpoint doublé d’affiches de comédie. Je n’ai pas oublié non plus que vous vous plaigniez dans ce temps-là d’avoir une femme trop sage. Oh ! je ne m’en plains