Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/346

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le jour parut, ayant changé d’habit avec le fils, il s’en couvrit, se mit un emplâtre sur la moitié du visage, acheta les chèvres, et, sans oublier son sac de sel, se mit en campagne, Il adressa ses pas vers l’endroit d’où on lui dit à peu près qu’il verrait le palais de la sorcière ; mais ses hôtes lui conseillèrent de n’y pas aller, à moins qu’il n’y eût bien affaire.

Il n’eut pas marché longtemps, qu’il entendit une espèce d’harmonie, qui devenait plus mélodieuse à mesure qu’il en approchait : il se douta de ce qui la causait ; et, chassant encore quelque temps ses chèvres devant lui, tandis qu’il observait tout ce qu’il y avait aux environs, il s’arrêta dans un petit bocage, au travers duquel coulait un agréable ruisseau.

Le voisinage d’un lieu dangereux, et l’approche d’une aventure téméraire, lui causèrent quelques réflexions ; ces réflexions, quelque émotion, mais ni crainte ni repentir.

Il se disait sans cesse :

Ce n’est rien qu’entreprendre, à moins que l’on n’achève ;
Et quand je devrais succomber,
Il est beau qu’un mortel à Luisante s’élève ;
Il est beau même d’en tomber.

Et un moment après :

Si je l’entreprends en vain,
Je ne saurais périr pour un plus beau dessein.

Tandis qu’il se fortifiait ainsi par toutes les magnanimités d’opéra qui lui venaient en tête, il vit arriver une personne qui s’empara de toute son attention. À sa fraîcheur, on l’eût prise pour l’aurore d’un jour d’été ; à sa taille, pour la