Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/36

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plus reculé vers l’ouest de toute la Bretagne. « Ce sont là les fées, s’écrie un peu arbitrairement l’auteur, et on ne pouvait, en effet, retrouver leur berceau dans aucun pays plus approprié que cette Armorique qui, selon les éloquentes paroles du plus célèbre Armoricain de nos jours « n’offre que des bruyères, des bois, des vallées étroites et profondes, traversées de petites rivières que ne remonte pas le navigateur ; région solitaire, triste, orageuse, enveloppée de brouillards, retentissante du bruit des vents, et dont les côtes, hérissées de rochers, sont battues d’un océan sauvage. »

Il y a du vrai dans tout cela ; mais tout n’y est pas absolument vrai ; et le système absolu, exclusif, de M. Walckenaër, ce système farouche qui cantonne dans les brouillards celtiques, sur les rocs armoricains, la patrie de la fée, cet être brillant, aérien, dont l’élégance et la grâce n’ont rien des rudesses germaines, dont l’œil bleu et la chevelure blonde ont gardé les reflets d’un ciel plus clair et d’un soleil plus chaud que le ciel brumeux et le soleil blafard des paysages ossianesques, ce système prête à plus d’une critique, et a été battu en brèche par M. Charles Giraud avec infiniment d’érudition et de malice.

Il insiste avec mille bonnes raisons sur le caractère universel, éclectique, cosmopolite de la féerie, sur ses origines incontestablement latines, sur les courants divers qui ont traversé et modifié tour à tour, suivant l’influence prépondérante du moment, l’invasion et la conquête du jour, les types traditionnels et les formes païennes. Il réfute, non sans ironie, l’engouement de certains auteurs pour cette origine celtique, druidique, chère à MM. Walckenaëer, Henri Martin, de la Villemarqué. Il fait remarquer que les superstitions druidiques sont cruelles et que la fée n’a pu avoir pour berceau l’autel de leurs sacrifices sanglants ; que ces Gaulois, ces Germains, ces Celtes, qu’on nous dit si chevaleresques, si galants, si respectueux dans leur culte de la femme, sont peints par César, qui les connaissait bien, d’un œil et d’un pinceau beaucoup moins indulgents, en termes dont la franchise et l’énergie ont besoin des voiles de la langue latine, que nous ne soulèverons pas.

Il y a plaisir à citer ces pages curieuses et fines, où l’auteur de la dissertation, — petit chef-d’œuvre d’érudition et d’esprit, — qui précède, sous le titre modeste de Lettre critique, notre meilleure