Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/408

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après un long combat où mes forces s’épuisèrent, et où je m’aperçus qu’on aimait mieux me prendre prisonnier que me tuer, je me sentis enlever sans savoir comment, et on me descendit au milieu d’un assez beau jardin, où la sorcière cueillait quelques herbes.

« De ces herbes elle avait dessein de composer quelque horrible sortilège, car il y fallait mêler le sang tout chaud d’un homme nouvellement égorgé. C’est ce que j’ai su depuis pendant ma métamorphose ; et c’est pour cela que ces griffons me mirent tout en vie à ses pieds. Sa figure me parut horrible ; mais la mienne trouva grâce dans le cœur le plus impitoyable qui fut jamais : je m’en aperçus, et je sus bientôt à quel prix je pouvais me racheter. Elle me dit que si je voulais l’épouser, elle me rendrait maître d’un trésor inestimable, outre ceux de sa personne ; sinon, que je ne serais pas en vie quand les premiers rayons du soleil éclaireraient la terre : et, pour me donner le temps de rêver à ce choix, elle me quitta sans attendre de réponse.

« Je n’avais pas trop d’envie de mourir ; cependant ce parti me parut plus honnête et moins difficile à prendre que l’autre.

« Si je refuse sa détestable main, disais-je, je vais faire ici une illustre fin ; et, si je l’accepte, ce sera un glorieux établissement que je me serai fait, après être venu de si loin le chercher ! Je me serai flatté du vain espoir de plaire à la divine Luisante, elle, dont aucun mortel n’a pu soutenir les regards ; j’aurai aspiré même à la gloire d’être à elle, pour me voir à la fin réduit au choix d’être le mari d’une sorcière effroyable, ou de mourir obscurément dans une retraite affreuse, où personne ne pourra seulement s’imaginer que je sois venu.