Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/412

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et ferma la porte de l’écurie en sortant ; tant elle avait peur que la misérable victime n’échappât !

« Elle courut ensuite chez elle pour revoir les seules consolations qui lui restaient dans son malheur. Mais elle n’avait garde de les y trouver ; car j’étais dans le chêne, où je me tenais clos et couvert, tandis que j’entendais les hurlements de son fils unique, à qui les flammes avaient rendu l’usage de la voix en brûlant le foin dont on lui avait rempli la bouche.

« Cependant la sorcière, qui n’avait rien trouvé chez elle, se doutant de quelque nouveau malheur, revint à l’écurie qu’elle trouva tout en feu : elle ne laissa pas d’en ouvrir la porte, et vit, au travers des flammes et de la fumée, ses chères espérances qui finissaient leurs jours par le même genre de mort que le ciel avait réservé pour la mère.

« Le vilain crapaud fut grillé, qu’il n’y manquait rien.

« Le cri qu’elle en poussa fut si terrible, que j’en frémis d’horreur, et le chêne où j’étais en fut ébranlé : il fut si violent, que cette longue dent, qui lui sortait de la bouche sauta plus de cinquante pas loin d’elle, brisée en mille morceaux. Une autre n’aurait pas regretté cette perte, mais pour elle sa furie en augmenta. « C’en est fait, s’écria-t-elle, tous « mes charmes m’abandonnent : recourons à l’artifice. » Ce fut en achevant ces mots qu’elle courut à sa demeure, et que je sortis de mon trou pour me sauver pendant son absence. Je volai tant que je pus ; à l’entrée de la nuit, je rencontrai le buisson où j’avais caché mon sac de sel. Je commençai d’espérer que la sorcière ne me trouverait pas. Grâces au ciel, disais-je, me voilà délivré de ta cruelle nécessité de choisir entre la mort et cette ragoûtante épouse : mais aussi me voilà perroquet pour le reste de mes jours.