Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/413

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« Je ne vous dirai point tout ce que j’eus à souffrir avant que de parvenir au climat heureux qui devait finir mes misères ; je pensai mourir de faim dans des lieux déserts où je ne trouvais point de fruits : d’ailleurs, comme je n’étais point accoutumé à voler, je ne faisais que de très petites traites. Tous ceux qui me voyaient couraient après moi pour me prendre : je n’avais de retraite que le haut des arbres, où je n’étais pas trop en sûreté contre de maudits petits garçons qui m’attaquaient à coups de pierres, ou qui grimpaient après moi.

« Je me remis enfin de toutes mes fatigues dès que je fus dans ce séjour enchanté. L’infernale Dentue m’avait suivi sans que je m’en fusse aperçu : je n’avais garde de la reconnaître sous la figure qu’elle avait prise. Elle arriva bientôt après moi sur les confins de Cachemire ; elle me côtoyait partout sans faire semblant de rien. J’étais assez accoutumé à me voir admirer de tous ceux qui me voyaient : ainsi je ne fus point surpris de son attention ; je savais me mettre hors d’atteinte quand on m’approchait de trop près.

« Comme j’étais assez embarrassé de ce que je deviendrais, quoique je fusse dans un pays où cent millions de perroquets eussent pu vivre en rois, j’étais de temps en temps fort rêveur. Elle s’en aperçut ; et, me regardant avec affection au haut de l’arbre où j’étais : « Quel dommage, dit-elle, qu’un si beau perroquet soit égaré ! Sans doute il est à quelque roi ou à quelque beauté qui se désespère, à l’heure qu’il est, de l’avoir perdu. Que sais-je s’il n’est pas à la plus belle des belles ? mais, s’il avait été à Luisante, jamais il n’aurait préféré sa liberté au plaisir de la voir. S’il n’était pas trop sauvage, continua-t-elle, voyant que je descendais de branche