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à force d’aimer

rôle d’apôtre social. Les côtés faibles du système développé par l’orateur, les naïvetés de la pièce qui en montrait l’application, n’existaient pas pour Mlle de Percenay. Tout lui paraissait admirable. Il lui semblait avoir vu vivre pendant trois heures les rêves les plus enflammés de son cœur généreux. Le succès aussi se démesurait dans son imagination de vingt ans. Parmi les bravos du public, elle n’avait pas fait la part de la nervosité, de l’emballement fugace, de la contagion, et aussi de la fascination produite par le charme personnel du jeune auteur. Elle regardait celui-ci comme un dominateur des foules, un bienfaiteur des peuples, un réformateur, un héros. Cette petite tête adorablement chimérique ne pouvait être tournée par une réalité sans illusions, si fascinante que fût cette réalité. Mais ici tout s’enchaînait, se confondait : la séduction immédiate et l’enchantement du rêve. Puis aussi l’aiguillon délicieux de l’obstacle. Quel abîme entre la fille du ministre et le rédacteur de l’Avenir social !… N’importe ! La jeune fille savait déjà qu’elle aimait René. Et elle savait aussi que, contrairement à la Germaine du drame, elle ne se laisserait pas mourir.

Le secret de tels sentiments était trop exquis pour qu’elle les divulguât, même à Huguette.

Et celle-ci, de son côté, — mais pour des raisons tout autres, — n’osait, la pauvre enfant, lui laisser voir ce qui se passait en elle.