Page:Lesueur - Nietzscheenne.djvu/8

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Tout lecteur qui me fera l’honneur de parcourir ces deux volumes avec une entière bonne foi, y verra clairement la préoccupation qui me guidait, et sera certain que je ne me targue pas ici d’une intention imaginée après coup.

Mais, précisément, avec la même bonne foi, pourrait-on s’étonner que j’aie cherché en Allemagne, pour la France, — tellement supérieure en philosophie et en morale, — un professeur d’énergie.

Je ne l’y ai pas cherché. La controverse française de cette époque, menée passionnément, — et jusqu’à devenir une mode, — autour de Nietzsche, m’imposa le goût de le juger par moi-même.

Je le lus — et en entier — ce que n’avaient pas fait peut-être cinq sur cent de ceux qui parlaient de lui. La substance que je trouvai dans son œuvre me parut d’une saveur merveilleusement opportune. D’autant plus qu’à mon désir de l’utiliser à notre profit, s’ajouta la velléité de détruire une injuste légende.

On reprochait à Nietzsche sa théorie des maîtres et des esclaves, interprétée faussement comme un brutal conseil de l’écrasement du faible par le fort.

Or, à ne point s’y méprendre, — sinon par ignorance, légèreté ou parti pris, — le vocable de « maître », chez ce philosophe, désigne l’homme qui sait se surmonter et s’élever jusqu’aux plus hautes valeurs qu’il ait en soi, fût-il au fond de l’ergastule, tandis que « l’esclave » est celui qui se laisse mener par ses basses passions, occupât-il un trône.

Thèse magnifique, la plus exaltante qui soit. Au lieu de la défigurer, n’avions-nous rien à y prendre ?

Puis l’admiration de ce penseur d’outre-Rhin pour la culture française, pour le génie méditerranéen, son mépris de la grossièreté allemande, son discernement du mensonge allemand, me touchèrent au plus vif de mon essence latine. — Qu’avait-il donc de la lourdeur germanique, ce lyrique à l’enthousiasme fulgurant, dont la soi-disant obscurité ressemble plus au vol de l’aigle dans la nuée éblouissante qu’à la rampante cautèle des reptiles parmi les marécages de la casuistique ?