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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/102

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mercredi, chez madame Geoffrin. Je voulais vous faire observer que vous seul, de tous mes amis, aviez la constance de me refuser et de me faire attendre ce que je désire vivement, le Connétable ; il est à moi, je pouvais vous le refuser, et c’est moi qui vous persécute pour me le rendre. Oh ! mon Dieu ! ni soins, ni intérêt, ni attention, ni envie de plaire, quelquefois de la bonté qui ressemble à la pitié, et avec tout cela, et sans tout cela, je vous aime à la folie. Plaignez-moi et ne me le dites pas. Rapportez-moi mes lettres ; oui.



LETTRE XXVII

Trois heures, 1774.

Je ne vous ai pas répondu moi-même. Si vous m’aimez, cela vous aura inquiété, et je serais désolée de vous causer une peine que je pouvais éviter. J’étais dans un état d’angoisse qui ressemblait à l’agonie, et qu’avait précédé un accès de larmes qui avait duré quatre heures. Non, jamais, jamais mon âme n’a senti un pareil désespoir. J’ai une espèce d’effroi qui égare ma raison. J’attends mercredi, et il me semble que la mort même n’est pas le remède suffisant à la perte que je crains ; je ne le sens que trop : il ne faut point de courage pour mourir, mais il est affreux de vivre. Il est au-dessus de mes forces de penser que peut-être ce que j’aime, ce qui m’aimait, ne m’entendra plus, ne viendra plus à mon secours. Il aura vu la mort avec horreur, parce que mon idée y était jointe ; il me disait, le 10 : « J’ai en moi de quoi