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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/103

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vous faire oublier tout ce que je vous ai fait souffrir », et ce jour-là même ce funeste accident l’est venu frapper !

Ah ! mon Dieu ! vous qui avez connu la passion, le désespoir, concevez-vous tout mon malheur ? plaignez-moi tant que je vivrai ; mais gardez-vous de regretter jamais la créature la plus malheureuse, et qui aura existé huit jours dans un état de douleur où la pensée ne peut atteindre. Adieu. S’il faut que je vive, si ma sentence n’était pas prononcée, je trouverais encore de la douceur, du charme et de la consolation dans votre amitié ; me la conserverez-vous ?



LETTRE XXVIII

1774.

Moi, défiante, et à votre égard ! songez donc avec quel abandon je me suis livrée à vous : non seulement je n’ai mis ni défiance, ni prudence dans ma conduite ; mais je n’aurais pas même connu les regrets ni les remords, si je n’avais compromis que mon bonheur. Oh ! mon ami, je ne sais si j’ai mieux aimé ; mais celui qui a pu me rendre infidèle et coupable, celui pour qui je vis après avoir perdu l’objet et l’intérêt de tous mes moments, à coup sûr, c’est celui qui a eu le plus d’empire sur mon âme : c’est celui qui m’a ôté la liberté de vivre pour un autre, et de mourir lorsqu’il ne me restait ni espérance, ni désir. Sans doute, j’ai été retenue par le même charme qui m’avait entraînée vers vous, par ce charme