Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chaleur et l’activité de ce séjour la font vivre ; mais la malheureuse a passé sa journée dans les limbes : elle attendait un ange consolateur qui n’est point venu. Il faisait sans doute le bonheur et le plaisir de quelque créature céleste : lui-même était enivré des plaisirs du ciel ; et dans cette disposition, rien ne pouvait me rappeler à lui ; et si, en effet, il est aussi heureux, je souhaite du fond de mon âme que rien ne le ramène à moi ; car je suis assez injuste de détester son bonheur, et pour désirer que le repentir et les remords le poursuivent sans cesse. Je lui souhaite pire encore : c’est qu’il n’aime plus, et qu’il n’inspire désormais que de l’indifférence. Voilà les vœux, voilà le souhait de l’âme qui a le mieux aimé, et qui a le plus de besoin de s’éteindre pour jamais. Bonsoir.



LETTRE XXX

Minuit et demi, 1774.

Je ne suis seule que dans ce moment ; et je veux bien vite vous dire que je ne compte point sur vous pour aller chez madame la duchesse d’Enville. Vous me serez toujours agréable, mais rarement utile, et je voudrais bien pouvoir ajouter peu nécessaire. En voulant rassurer ma confiance, vous me prouvez à quel point ma défiance est justement fondée, car il me manque encore trois lettres, et une nommément où je vous parlais de Gonzalve[1]. Vous verrez que ces trois lettres sont encore dans un des côtés de votre portefeuille ; peut-être aussi sont-elles avec ce qua-

  1. Gonzalve était le prénom de M. de Mora.