Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tact : mais si j’estime votre bon goût, je m’afflige de ce que vous n’avez presque pas d’indulgence ni de bonté. — Vous avez diné avec trente personnes. — M. de Vaines a passé la soirée avec moi ; croirez-vous que je ne vous ai pas nommé ?



LETTRE XXXIV

Quatre heures après-midi, 1774.

À coup sûr, mon ami, je n’observe pas la loi du talion dans ce moment-ci : car ce n’est pas de moi que vous êtes occupé. Eh ! mon Dieu, comment penseriez-vous à moi, au milieu de tant et de si charmants objets de distraction, tandis que je ne puis fixer votre pensée lorsque nous sommes tête à tête ? Savez-vous pourquoi j’aime mieux vous voir le soir que dans le reste de la journée ? C’est qu’alors l’heure arrête votre activité : il n’y a plus moyen d’aller chez Mme une telle, chez Gluck, etc., et de faire cent inutilités, auxquelles il semble que vous n’attachiez de l’intérêt que pour me quitter plus tôt : mais n’allez pas croire que ce soient là des reproches ; ce sont, et ce ne sont que des remarques, que je ne peux m’empêcher de faire avec le degré d’intérêt qui m’anime : mais je suis si éloignée de vouloir rien exiger, que je me dis cent fois par jour que c’est sur moi que je dois prendre de l’empire ; que je dois réduire mon sentiment à cette mesure, où n’ayant pas assez de force pour faire le tourment de l’âme, on ne prétend à rien, et où l’on sait gré de tout : c’est-à-dire que si, par hasard, c’était de la passion que j’eusse dans