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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/115

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d’en être vous-même le censeur : mettez-y la dernière main, et soyez sûr que personne au monde n’attache autant de prix que moi à tout ce que vous faites, et à tout ce que vous êtes capable de faire. Sans être vaine, il me semble qu’on pourrait mettre sa vanité, son orgueil, sa vertu, son plaisir et enfin toute son existence, à vous aimer ; mais je ne disais pas cela tout à l’heure. Non, mais je disais ce que je pensais, ce que je savais ; et dans ce moment-ci je suis entraînée à vous dire ce que je sens. Mon âme est si forte pour aimer, et mon esprit si petit, si faible, si borné, que je devais donc m’interdire tout mouvement et toute expression qui ne viennent pas de mon cœur ; c’est lui qui vous parle quand je vous dis : je vous attends, je vous aime, je voudrais être toute à vous et mourir après. Adieu ; voilà du monde. Je suis si occupée de vous, je le suis si profondément de mes regrets, que la société n’est plus rien pour moi que de l’importunité et de la contrainte. Il n’y a que deux manières d’être qui me soient bonnes, vous voir et être seule, mais seule, sans livres, sans lumière et sans bruit. Je suis loin de me plaindre de mes insomnies, c’est le bon temps sur les vingt-quatre heures. Admirez, je vous en prie, combien il m’en coûte pour vous quitter, tandis que vous n’avez pas eu un retour vers moi, pas une pensée. Mon Dieu ! en êtes-vous plus heureux ? Oui.



LETTRE XXXV

1774.

Que vous êtes aimable de me rendre compte de ce que vous faites, de ce que vous pensez, de ce qui