Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chine est si souffrante, que ne fussiez-vous susceptible que du sentiment de la pitié, je suis sûre que vous seriez près de moi, et que vous désireriez de faire pénétrer jusqu’à mon cœur le baume de la sensibilité et de la consolation. À demain, mon ami : car votre lettre me touchera et j’aurai besoin d’y répondre.


Jeudi, après la poste.

Eh bien ! je n’ai point eu de lettre, et cela me surprend bien moins que cela ne m’afflige : il est si simple, quand on jouit, d’oublier ce qui souffre, que je me garderai bien de vous faire un reproche de ce qui n’est qu’une suite bien naturelle de la disposition de votre âme dans le lieu où vous êtes. Vous avez vu le chevalier : il vous aura dit de mes nouvelles. Je n’étais pas bien le jour qu’il est venu, j’avais eu une attaque de convulsion pareille à celle dont vous avez été témoin, et j’avais pleuré une partie de la nuit. Je ne me suis pas endormie celle-ci ; je souffrais trop. Je suis mieux : je ne me sens que de la faiblesse et de l’abattement ; j’ai eu hier une secousse violente. — J’ai eu une conversation, j’ai su des détails, j’ai revu une écriture, j’ai lu des mots auxquels je ne devais pas survivre. Ah ! mon sang, ma vie ne seraient qu’un faible prix pour un tel sentiment ; voyez ce que je dois juger du vôtre. — L’abbé Morellet disait ces jours passés, et dans l’innocence de son âme, que vous étiez fort amoureux de la petite comtesse de B… ; que vous étiez très occupé d’elle ; que vous aviez le plus grand désir de lui plaire, etc., etc. Si cela n’est pas tout à fait vrai, cela est si vraisemblable, qu’il me