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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/126

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qu’à peine vous y consentez. Vous êtes parti hier, et je n’ai pas pu savoir où vous alliez ; je ne sais pas où vous êtes : je suis dans l’ignorance de vous, de vos actions. Mon ami, est-ce là le procédé de l’amitié la plus commune ? et croyez-vous que je puisse penser sans douleur que, de votre plein gré, vous serez douze jours sans entendre parler de moi ? Et croyez-vous aussi que je n’aie pas été sensiblement affligée de ce qu’en pensant me quitter, vous n’ayez pas voulu me donner la dernière soirée que vous deviez passer à Paris ? Si vous m’aimiez, vous auriez vu le mal que vous me fîtes lorsque vous dites samedi au soir que le lendemain vous iriez chez madame d’Arcambal. Je ne trouvai pas un mot à répliquer, mais je souffris.



LETTRE XXXIX

Onze heures du soir, 1774.

Je n’ai point eu de vos nouvelles ; je n’en espérais guère, et cependant j’en attendais. Ah ! mon Dieu ! comment pouvez-vous dire que la douleur n’est plus dans mon âme ? J’en mourais hier ; j’ai eu un accès de désespoir qui m’a donné des convulsions qui ont duré quatre heures. Mon ami, s’il faut vous dire ce que je crois, ce qui est vrai, c’est que, lorsque je vous vois, je vous aime à la folie, et au point de croire que je n’ai jamais mieux aimé ; mais j’ai besoin de vous pour vous aimer, tout le reste de ma vie est employé à me souvenir, à regretter et à pleurer. Oui, partez, dites-moi que vous en aimez une autre ;