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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/127

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je le désire, je le veux, j’en ai un mal si profond, si déchirant, que je n’espère plus de soulagement que de la mort. Celui que vous m’apportez a l’effet de l’opium ; il suspend mes maux, mais il ne les guérit point, au contraire, j’en suis plus faible et plus sensible. Vous avez raison, je ne suis plus capable d’aimer, je ne sais plus que souffrir. J’avais espéré en vous, je m’y étais abandonnée, je croyais que le plaisir de vous aimer calmerait mon malheur. Hélas ! vainement je le fuis ; il me rappelle sans cesse, il m’entraîne et il ne me présente plus qu’une ressource. Ah ! ne me parlez pas de celle que je trouve dans la société : elle n’est plus pour moi qu’une contrainte insupportable ; et si je pouvais déterminer M. d’Alembert à ne pas être avec moi, ma porte serait fermée. Comment pouvez-vous croire que les productions de l’esprit auront plus d’empire sur moi que le charme, que les consolations de l’amitié ? J’ai les plus dignes amis, les plus sensibles, les plus vertueux. Chacun, à sa manière et selon son accent, voudrait arriver jusqu’à mon âme ; je suis pénétrée de tant de bontés, mais je reste malheureuse ; vous seul, mon ami, pouvez me faire connaître le bonheur. Hélas ! il me retient à la vie en invoquant la mort ! Mais pourquoi avez-vous mis quelque prix à être aimé de moi ? Vous n’en aviez pas besoin ; vous saviez bien que vous ne pouviez pas me répondre. Vous seriez-vous fait un jeu de mon désespoir ? Remplissez donc mon âme, ou ne la tourmentez plus : faites que je vous aime toujours, ou que je ne vous aie jamais aimé ; enfin, faites l’impossible, calmez-moi ou je meurs.

Dans ce moment-ci que faites-vous ? Vous portez le