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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/128

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trouble dans une âme que le temps avait calmée, vous m’abandonnez à ma douleur. Ah ! si vous étiez sensible, vous seriez à plaindre, mon ami ; vous connaîtriez le remords, mais au moins si votre cœur ne peut pas se fixer, livrez-vous à votre talent, occupez-vous, travaillez de suite, car si vous continuez cette vie dissipée, agitée, j’ai peur que vous ne soyez réduit à dire un jour : le besoin de la gloire a fatigué mon âme.


Samedi au soir.

Ce n’est que ce matin que j’ai eu de vos nouvelles, et je ne sais par où ni comment elles sont venues : ce n’est pas par la poste. Jugez-moi folle si vous voulez, croyez-moi injuste, enfin tout ce qu’il vous plaira : mais cela ne m’empêchera pas de vous dire que je ne crois pas avoir, de ma vie, reçu une impression plus sensible, plus flétrissante que celle que m’a faite votre lettre. Et, avec la même vérité, je vous dirai que l’espèce de mal que vous m’avez fait, ne mérite guère d’intérêt, parce que je crois que c’est mon amour-propre qui a souffert, mais d’une manière qui m’est tout à fait nouvelle. Je me suis sentie si accablée d’avoir pu donner à quelqu’un le droit de me dire ce que je lisais, et de me le dire avec tant de naturel, que j’en devais conclure qu’il n’avait fait que verser son âme en me parlant, et sans même se douter qu’il m’offensait. Oh ! que vous avez bien vengé M. de M... ! que vous me punissez cruellement du délire, de l’égarement qui m’ont entraînée vers vous ! que je les déteste ! Je n’entrerai dans aucun