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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/129

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détail ; vous n’avez ni assez de bonté, ni assez de sensibilité pour que mon âme puisse se soumettre à la plainte : mon cœur, mon amour-propre, tout ce qui m’anime, tout ce qui me fait sentir, penser, respirer, en un mot, tout ce qui est en moi est révolté, blessé et offensé pour jamais. Vous m’avez rendu assez de force, non pour supporter mon malheur (il me paraît plus grand et plus accablant que jamais), mais pour m’assurer de ne pouvoir plus être tourmentée ni malheureuse par vous. Jugez, et de l’excès de mon crime, et de la grandeur de ma perte ; je sens, et ma douleur ne me trompe point, que si M. de M... vivait, et qu’il eût pu lire votre lettre, il m’aurait pardonné, il m’aurait consolée, et il vous en aurait haï. Ah ! mon Dieu ! laissez-moi mes regrets ; ils me sont mille fois plus chers que ce que vous appelez votre sentiment ; il m’est affreux, son expression est du mépris, et mon âme le repousse avec tant d’horreur, que cela seul me répond qu’elle est encore digne de la vertu. Dussiez-vous croire que vous ne m’avez fait que justice, j’aime mieux vous laisser cette opinion, que d’entrer en explication. C’en est donc fait ; soyez avec moi comme vous pourrez, comme vous voudrez, pour moi, à l’avenir (s’il y a un avenir pour moi), je serai avec vous comme j’aurais dû toujours être ; et si vous ne laissiez point de remords dans mon âme, j’espérerais bien vous oublier. Je le sens, les plaies de l’amour-propre refroidissent l’âme. Je ne sais pourquoi je vous ai laissé lire tout ce que je vous avais écrit avant que de recevoir votre lettre : vous y verrez toute ma faiblesse, mais vous n’y aurez pas vu tout mon malheur ; je n’espérais rien de vous, je ne voulais pas être consolée. Pourquoi donc me plaindre ? Ah ! pourquoi ? parce qu’un malade qui est