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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/141

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c’est vous qui portez le trouble dans mon âme, c’est vous enfin que j’aime, que je hais, et qui déchirez et charmez tour à tour un cœur qui est tout à vous. Mon Dieu ! ne craignez pas d’être triste avec moi : c’est mon ton, c’est mon existence que la tristesse ; vous seul, oui vous seul avez le pouvoir de changer ma disposition ; votre présence ne me laisse ni souvenir, ni douleur ; j’ai éprouvé que vous faisiez diversion aux maux physiques. Je vous aime, et toutes mes facultés sont employées et charmées, lorsque je vous vois.


Vendredi matin, 26 août 1774.

Mon ami, je fus interrompue hier. Il y a tant de nouvelles, tant de mouvements, tant de joie, qu’on ne sait lequel entendre ; je voudrais être bien aise, et cela m’est impossible. Il y a quelques mois que j’aurais été transportée et du bien qu’il y a à espérer, et du mal dont on est délivré : actuellement je ne suis, que par la pensée et par réflexion, au ton de tout ce que je vois et de tout ce que j’entends. Vous savez que M. Turgot est contrôleur général, il est entré dans le conseil ; M. Dangevillers a les bâtiments ; M. de Miromesnil est garde des sceaux ; M. le chancelier est exilé en Normandie ; M. de Sartine a la marine, et l’on dit que ce n’est qu’en attendant le département de M. de la Vrillière ; M. Lenoir est lieutenant de police ; M. de Fitzjames ne va pas en Bretagne : c’est M. le duc de Penthièvre qui va tenir les États avec M. de Fourqueux. Mais en vérité, me voilà aussi piquante que M. Marin, à qui l’on ôte la gazette pour la donner à