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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/151

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erreur que j’abhorre : car, il faut vous l’avouer, j’ai pensé plus que cela encore ; j’ai été persuadée que vous pouviez m’aimer ; et cette persuasion si folle, si vaine, m’a entraînée dans l’abîme. Sans doute il est bien tard, trop tard de m’aviser de mon égarement. Je le déteste, et en me méprisant, je voudrais vous haïr ; en effet, vous aviez excité en moi cet horrible mouvement : je vous ai même écrit dans cette disposition ; c’était le dernier effet et le dernier effort de la passion qui m’agitait. Je suis loin de me faire un mérite du calme où je suis revenue : c’est encore un bienfait de l’homme que j’adorais. Je ne vous expliquerai point tout ce qui s’est passé en moi depuis quinze jours, mais il suffit de vous dire que je ne me reconnais plus : ce n’est plus votre pensée qui m’occupe : et si le remords n’était pas à côté de ma douleur, je crois que vous seriez bien loin de moi : non que je cesse jamais d’avoir de l’amitié pour vous, et de l’intérêt pour votre bonheur : mais ce sera en moi un sentiment modéré qui pourra, si vous y répondez, me faire goûter quelques moments de douceur, sans jamais troubler ni tourmenter mon âme. Oh ! de quelles horreurs elle a été remplie ! il me paraît miraculeux de n’avoir pas succombé au désespoir où j’ai été réduite ; mais cette secousse, en affaissant ma machine, a remonté mon âme : elle est restée sensible ; mais elle est sans passion. Je ne connais plus ni la haine, ni la vengeance, ni… Ah, mon Dieu ! quel mot j’allais prononcer ! il n’est plus lié dans ma pensée qu’au souvenir de M. de Mora. Hélas ! je lui devrai encore ce que mon cœur sentira de plus consolant et de plus doux, des regrets et des pleurs. Tous les détails que vous m’avez mandés ont été inondés de larmes, je vous en remercie : je