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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/154

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m’aviez écrites avant que de recevoir ma lettre. Quelle supériorité la raison a sur la passion ! comme elle règle la conduite ! elle porte et répand la paix sur tout ; en un mot, elle a tellement de la mesure, que je dois vous rendre grâce aujourd’hui et de ce que vous me dites, et de ce que vous ne me dites point. Mon ami, votre lettre du vendredi est aimable : elle est douce, obligeante, raisonnable ; elle a le ton et le charme de la confiance ; mais elle est triste, et je suis fâchée que ce soit la disposition de votre âme. Je n’ai pas en moi de quoi vous distraire ; je n’ai pas même la force de vous parler ce soir : je suis trop souffrante ; si je puis, je reprendrai votre lettre pour le courrier de mardi. Adieu. Vous n’attendez plus de mes nouvelles ?



LETTRE L

Lundi au soir, 19 septembre 1774.

Je veux vous écrire. Je voudrais vous répondre ; si je manque le courrier de demain, il faudra attendre à samedi, et cependant mon âme est morte. Je viens de relire votre lettre ; j’ai cru qu’elle me ranimerait, et point du tout : je me sens d’une stérilité effroyable, et si je me laissais aller, voici ce que je vous répondrais : toutes les réflexions que vous faites sur votre situation présente sont fort raisonnables ; mais si vous vous occupez de l’avenir, vous êtes encore plus fondé à trouver des sujets d’espérance, que des motifs de crainte. Il me semble que jamais les hommes de mérite n’ont eu si beau jeu ; et avec de la vertu, des