Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà deux courriers de perdus, lundi et mercredi, et c’est moi qui me suis fait ce mal-là : car, sans m’aimer, vous auriez continué à m’écrire exactement. Eh ! bon Dieu ! à quel excès j’ai été portée ! Je vous ai aimé et haï avec fureur : c’était sans doute le dernier élan d’une âme qui allait s’évanouir pour jamais ; car, en honneur, je n’en ai plus entendu parler, je ne sais ce qu’elle est devenue depuis. — Je croyais que vous auriez écrit mercredi à M. d’Alembert : en rentrant, mon premier mot fut de lui demander s’il n’avait point eu de lettre, et s’il n’en savait rien ; car il a pour bonne habitude de n’ouvrir ses lettres que le lendemain matin. Je sus bientôt qu’il n’en avait pas reçu de vous, et mon état de souffrance s’en augmenta d’une manière si sensible, que je fus obligée de prendre un calmant ; et puis, à force de raison et de raisonnements, j’en vins non pas à ne point m’en soucier, mais à ne pas m’en faire un tourment. Pourquoi donc dites-vous que vous ne recevez qu’une fois la semaine des lettres, tandis qu’elles arrivent trois fois la semaine à Paris ? Mais à quoi cela m’est-il bon, si vous ne m’écrivez point, si samedi je suis encore comme mercredi et lundi ? Mais il n’y a que l’indifférence qui soit muette ; si vous étiez mécontent, si même vous me haïssiez, vous devriez avoir du plaisir à me le dire. Enfin, mon ami, il faut que vous m’ayez condamnée, si vous n’avez pas besoin de me confondre.

Vous savez que M. de Muy se marie ces jours-ci avec madame de Saint-Blancard, une chanoinesse d’Allemagne que vous avez peut-être connue pendant la guerre dernière. On dit qu’elle est aimable, qu’elle a été jolie et qu’elle aime M. de Muy. Ce mariage me donne bien bonne opinion de l’honnêteté de M. de