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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/165

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Mais voyez si c’est ma faute ; voyez quelle éducation j’ai reçue. Madame Du Deffand (car pour l’esprit elle doit être citée), le président Hénault, l’abbé Bon, l’archevêque de Toulouse, l’archevêque d’Aix, M. Turgot, M. d’Alembert, l’abbé de Boismont, M. de Mora, voilà les hommes qui m’ont appris à parler, à penser, et qui ont daigné me compter pour quelque chose ; le moyen après cela que la tête tourne d’être aimé par… ! Mais, mon ami, croyez-vous qu’on puisse aimer, quand on n’a point, ou qu’on n’a que peu d’esprit ? Je vois bien que vous me croyez folle ou imbécile, mais il n’importe. J’avais sur le cœur tout ce que je viens de vous dire. Bonsoir : je garde une petite place pour vous dire demain que je n’ai point eu de vos nouvelles. Mon ami, pardonnez-le-moi, cela me paraît impossible.


Samedi, après la poste.

Vous êtes malade, vous avez la fièvre. Ah ! mon ami, ce n’est pas mon intérêt que cela réveille : c’est de l’effroi que cela me cause : je crois que je porte malheur à ce que j’aime. Oh ! mon Dieu ! s’il me fallait craindre, s’il me fallait sentir encore les alarmes et le désespoir qui ont consumé deux ans de ma vie, pourquoi m’avez-vous empêchée de mourir ! vous ne m’aimez pas et vous m’avez enchaînée ! Si lundi je n’avais pas de vos nouvelles !…