LETTRE LV
Mon ami, vous m’avez empêchée de mourir, et vous me tuez, en me laissant dans une inquiétude qui bouleverse mon âme. Je n’ai point eu de vos nouvelles mercredi, le chevalier d’Aguesseau non plus ; et il a été chez toutes les personnes qui auraient pu en avoir. Ah ! mon Dieu ! que je me connaissais peu ! que je vous disais mal, lorsque je vous assurais que mon âme était fermée au bonheur, au plaisir ; qu’elle ne connaîtrait plus de grand malheur, et que je n’avais plus rien à craindre ! Hélas ! je ne respire pas depuis mercredi. Je vous vois malade ; j’ai une secrète terreur qui m’effraie. Quelle affreuse disposition vous me faites retrouver ! ce mercredi, ce samedi, ces horribles jours qui ont fait l’espoir et le désespoir de ma vie deux ans de suite ! Mais seriez-vous assez mal pour oublier que vous êtes aimé avec passion ? et si vous vous en êtes souvenu, comment avez-vous manqué de me faire donner de vos nouvelles ? ne saviez-vous pas que c’était livrer mon âme à une douleur mortelle, que de me faire craindre pour vous ? Mon ami, si vous avez pu m’éviter ce que je souffre, vous êtes bien coupable ; et il me semble qu’un pareil tort devrait bien me guérir ; mais, mon Dieu ! est-on libre ? Puis-je me calmer, me refroidir, selon ma volonté et même d’après la vôtre ? Ah ! je ne puis que vous aimer et souffrir : voilà le mouvement, le sentiment de mon cœur ; je ne puis l’arrêter