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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/171

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ni l’exciter, mais je voudrais mourir. J’ai des pensées qui sont un poison actif ; mais il n’est pas encore assez prompt. Si j’apprends demain que vous êtes bien malade, et si je n’apprenais rien, j’aurais trop vécu. Non, cela est impossible, vous aurez pensé à moi, j’attends donc, mais c’est en tremblant ; c’est avec une impatience qui n’a jamais été sentie que par une âme aussi passionnée que malheureuse. Oh ! Diderot a raison : il n’y a que les malheureux qui sachent aimer. Mais, mon ami, cela ne vous soulage pas si vous souffrez ; et lorsque vous êtes calme, vous n’y attachez pas grand prix. Eh bien ! je vous aime, et je n’ai pas besoin de votre sentiment, pour que mon cœur se donne, s’abandonne à vous.

Tout ce que l’abbé Terrai avait fait, ou projeté de faire sur les domaines, est comme non avenu : tout a été détruit, cassé, annulé ; en un mot, vous devez être aussi tranquille sur la propriété de M. votre père, que vous l’étiez il y a dix ans. C’est M. Turgot qui me l’a assuré hier, qui m’a demandé de vos nouvelles, et qui s’est reproché de n’avoir pas encore eu une minute pour répondre aux personnes à qui il ne pouvait se résoudre d’écrire des lettres de bureau. M. de Vaines m’a chargée de le rappeler à votre souvenir ; il est vraiment écrasé par son travail : ils ont tant à réparer, tant à prévoir, qu’ils n’ont pas le moment de respirer. L’abbé Terrai a eu ordre de reporter au Trésor royal les cent mille écus qu’il avait pris par anticipation sur le bail des fermes ; et M. Turgot a déclaré qu’il ne voulait point des cinquante mille francs qui lui revenaient de droit chaque année sur cette partie : il se réduit sur tout ; cela donne, après cela, le courage de faire des réformes sur les places qui dépendent de lui. C’est un homme excellent ; et