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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/172

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s’il peut rester en place, il deviendra l’idole de la nation : il est fanatique du bien public, et s’y emploie de toute sa force.


Samedi, après le facteur.

Je fus interrompue. Je reçois votre lettre, mon ami ; vous vous portez bien : en voilà assez pour vivre. Au moins j’espère que vous ne serez pas sérieusement malade, et je respire. Hélas ! je ne sais plus vous répondre, les secousses que vous donnez à mon âme sont trop violentes pour trouver des mots. Mon ami, tout ce que je puis vous dire, c’est que votre lettre est charmante par le ton de douceur et de confiance qui y règne : elle est honnête et vraie comme votre âme ; et si elle ne répondait pas à la mienne sur tous les points, ce ne serait pas votre faute, et je n’ai pas à me plaindre. Hélas non ! je suis contente de vous ; mais je dirai comme Phèdre : « J’ai pris la vie en haine et l’amour en horreur ». Oh ! si vous saviez combien je me déteste, combien j’en ai sujet ! La vérité est dans mon cœur, et il arrive que j’ai encore à me reprocher d’usurper l’estime et les sentiments qu’on m’accorde. Tous ces temps-ci, je suis tombée dans un état qui a alarmé mes amis ; ils en font honneur au sentiment de la perte que j’ai faite, tandis que c’est l’alarme que vous m’avez causée qui a fait diversion aux regrets qui me déchirent. Quoi ! en mourant de douleur, je suis indigne des sentiments que j’inspire ! concevez-vous toute l’horreur de ma situation ? Croyez-vous qu’il soit dans la