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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/175

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qui en ait la chaleur, qui vivifie l’âme, qui l’éclaire, qui la soutient, qui la rend plus forte, plus grande. Ah ! mon ami, ai-je besoin de nommer ce présent de la nature ? mais quand il ne fait pas le bonheur de l’âme qu’il remplit, il faut mourir. Oh ! oui, il fallait mourir, j’en avais besoin, j’y cédais : que vous avez été cruel ! Eh ! que vouliez-vous faire des jours que vous sauviez ? les remplir de trouble et de larmes ! ajouter au malheur le plus affreux tourment du remords ! me faire détester tous les instants de ma vie ! et cependant m’y lier par un intérêt qui dévore mon cœur, qui, vingt fois par jour, se présente à ma pensée comme un crime ! Ah ! mon Dieu ! je suis coupable, et le Ciel m’est témoin que rien ne fut plus cher à mon cœur que la vertu ; et ce n’est pas vous qui m’avez égarée ! Quoi ! vous croyez que c’est moi seule qui me suis précipitée dans l’abîme ? je ne puis donc vous imputer ni mes fautes, ni mon malheur. Ah ! j’ai voulu les expier, j’ai vu le terme de mes maux ; en vous haïssant j’étais plus forte que la mort. Par quelle fatalité, pourquoi vous ai-je retrouvé ! pourquoi la crainte que j’ai eue que vous ne fussiez malade a-t-elle amolli mon âme ? Enfin, pourquoi me déchirez-vous, et me consolez-vous tout à la fois ? pourquoi ce mélange funeste de plaisir et de douleur, de baume et de poison ? Tout cela agit avec trop de violence sur une âme que la passion et le malheur ont exaltée ; tout cela achève de détruire une machine épuisée par la maladie et le manque de sommeil. Hélas ! je vous le disais, dans l’excès de mes maux : je ne sais si c’est vous, ou la mort que j’implore ; c’est par vous ou par elle que je dois être soulagée ou guérie pour jamais : toute la nature ne peut plus rien pour moi. Hélas ! me reste-t-il un vœu,