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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/176

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un désir, un regret, une pensée dont vous et M. de Mora ne soyez l’objet ? Mon ami, j’ai cru mon âme éteinte ; je vous le disais, et je trouvais de la douceur dans le repos. Mais, mon Dieu ! que cette disposition était fugitive ! elle ne tenait qu’à l’effet de l’opium prolongé. Eh bien, je retrouverai la raison, ou je la perdrai tout à fait : mais dites-moi, comment est-il possible que je ne vous aie pas dit que je crains le retour de la fièvre ; que j’espère avoir de vos nouvelles aujourd’hui, puisque la poste arrive ? Si je n’en ai pas, je ne vous accuserai point, mais je souffrirai jusqu’à mercredi. Adieu, mon ami. Votre bonté, votre douceur, votre vérité, ont pénétré mon cœur de tendresse et de sensibilité.


Lundi au soir.

J’ai eu un mot de vous ; rien qu’un mot ; mais il me dit que vous êtes sans fièvre, et cela me tranquillise. Mais vous êtes inquiet de mademoiselle votre sœur ; je le suis aussi : je suis si près de tout ce qui vous touche ! Et moi aussi, j’ai la fièvre ; l’accès de douleur de cette nuit a altéré mon sang et mon pouls : mais ne soyez point inquiet, la mort n’arriva jamais si à propos ; les malheureux ne meurent point, et ils sont trop faibles, trop lâches quand ils aiment, pour achever de se tuer. Je vivrai, je souffrirai, j’attendrai, non pas le bonheur, non pas le plaisir, quoi donc ? Mon ami, c’est à vous que je parle : répondez-moi. — Voyez si vous n’êtes pas d’une étourderie qui peut être dangereuse : vous m’écrivez, et vous ne cachetez pas