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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/177

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votre lettre ; et pour que vous n’en doutiez pas, je vous envoie votre enveloppe. — Le pape est mort, et d’une maladie qui donne d’affreux soupçons. Bonsoir, mon ami. J’ai la tête pesante, je souffre plus que de coutume ; mais j’ai de vos nouvelles, voilà l’important. Je suis dans une disposition bien bizarre : depuis douze heures, mes yeux me représentent toujours le même objet, soit que je les aie ouverts ou fermés : cet objet que je chéris, que j’ai adoré me pénètre d’effroi. Dans ce moment même, il est là ; ce que je touche, ce que j’écris, ne m’est pas plus sensible, plus présent ; mais pourquoi ai-je peur ? pourquoi ce trouble ? Ah ! si c’était !…



LETTRE LVII

Mercredi, 5 octobre 1774.

Mon ami, je n’ai point de vos nouvelles ; j’en attendais. Hélas ! j’éprouve que l’âme qui espère le moins, est encore trompée, et que la tête la moins susceptible d’illusion, s’en forme encore beaucoup trop. Pardon, mon ami ; le besoin que j’ai de vous, fait que j’y compte trop : il faudrait aussi me corriger de cette erreur. Je suis malade, et dans un état de souffrance inexprimable ; toute espèce de nourriture me fait un mal égal. Mon médecin en conclut qu’il se forme un embarras au pylore ; je ne connaissais pas cet étrange mot : mais on est à la torture quand cette porte veut se fermer. Je prends de la ciguë : si elle pouvait être préparée comme celle de Socrate, que je la prendrais avec plaisir ! Elle me guérirait de cette maladie si