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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/179

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une fièvre ardente toute la nuit, elle m’a quittée, et en me quittant elle a effacé l’image qui me dérobait tout autre objet, mais je ne conçois pas pourquoi elle portait l’effroi dans mon âme. Ah ! si je pouvais cependant racheter sa vie pour une heure seulement ! il n’y a point de supplice que je n’eusse la force de braver ; et je dirais : La mort et les enfers paraissent devant moi : Ramire, avec transport j’y descendrais pour toi. Mais, mon ami, ce n’est point tout cela que je voulais vous dire : je suis troublée, je ne puis continuer. Adieu.


Samedi, à minuit.

Avant tout, je veux vous dire que votre encre est blanche comme le papier, et aujourd’hui cela m’a vraiment impatientée. Je m’étais fait apporter votre lettre chez M. Turgot, où je dînais avec vingt personnes ; on me l’a remise à table, j’avais à côté de moi l’archevêque d’Aix, et de l’autre côté, le curieux abbé M… J’ai ouvert ma lettre sous la table, et à peine pouvais-je voir qu’il y avait du noir sur du blanc, et l’abbé faisait la même remarque. Madame de Boufflers, qui était auprès de l’archevêque d’Aix, demandait ce qui m’occupait. « Souvenez-vous du lieu où nous sommes, et vous serez au fait de ce que je lis. — Un mémoire sans doute pour M. Turgot ? Eh oui, justement, madame, et je veux le lire avant que de le lui donner. » Et en effet, avant que de rentrer dans le cabinet, j’avais lu votre lettre, et j’y vais répondre : mais ce sera à la hâte, parce que je meurs de fatigue du tour de force que j’ai fait aujourd’hui. J’ai vu cent personnes : et comme votre lettre m’avait fait du bien