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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/180

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à l’âme, j’ai parlé, j’ai oublié que j’étais morte, et je me suis vraiment éteinte. À la vérité, j’ai eu de grands succès, parce que j’ai bien fait valoir les agréments et l’esprit des personnes avec qui j’étais ; et c’est à vous mon ami, à qui ils ont dû ce passe-temps si doux pour leur amour-propre. Le mien ne s’enivre point de vos louanges : je vous répondrai comme Couci : Aimez-moi, prince, au lieu de me louer.

Mon ami, gardez-vous à jamais d’avoir la bonté de prendre le soin de faire valoir mon bien, de faire l’étalage de mes richesses : jamais je ne me suis trouvée si pauvre, si ruinée, si misérable ; en appréciant ce que j’ai, en me faisant voir mes ressources, vous me démontrez que tout est perdu. Il ne me reste plus qu’un moyen, et il y a longtemps que je le pressens, que je le crois même nécessaire : c’est de faire une banqueroute sèche ; mais je me conduis comme cela se pratique ; je diffère, je remets, je me berce d’espérances, de chimères ; je les juge telles, et cela cependant me soutient un peu : mais vous détruisez tout par l’horrible énumération que vous me faites. Ah ! quel déplorable inventaire ! si tout autre que vous s’était avisé de vouloir me consoler, et me rattacher à la vie par ces désespérantes consolations, j’aurais répondu comme Agnès : Horace avec un mot me fera plus que vous ; et c’est Horace qui me parle ! Oh ! mon ami, mon âme en reste abîmée. Que n’inventez-vous point pour me tourmenter ! Je serai, dites-vous, garantie, soutenue, défendue, etc., etc. Eh bien, je n’ai rien été de tout cela ; si vous mettiez votre estime à ce prix, je n’y prétends plus ; j’ai été inconséquente, faible, malheureuse, bien malheureuse. J’ai craint pour vous, et j’ai été égarée ; j’ai eu tort sans doute, et c’est un mal de plus que de le reconnaître. Je n’ai