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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/181

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pas un mouvement, je ne vous dis pas un mot qui ne me causent un regret ou un repentir. Mon ami, je devrais vous haïr. Hélas ! qu’il y a longtemps que je ne sais plus ce que je dois, ce que je veux ! je me hais, je me condamne, et je vous aime.



LETTRE LVIII

Ce dimanche au soir, 9 octobre 1774.

Mon ami, j’ai relu votre lettre deux fois ; et l’impression totale que j’en reçois, c’est que vous êtes bien aimable, et qu’il est bien plus aisé de ne point vous aimer du tout que de vous aimer modérément. Faites le commentaire de cela, non pas avec votre esprit ; ce n’est pas à lui que je parle. — Mon ami, si je voulais, je m’arrêterais à quelques mots de votre lettre, ils m’ont fait mal. Ah ! tout agite une âme aux maux accoutumée. Du moins, si je pouvais dire comme Bayard : Si mon ami m’afflige, il essuiera mes larmes ! Vous me parlez de mon courage, de mes ressources, de l’emploi de mon temps, de celui de mon âme, de manière à me faire mourir de honte et de regret de vous avoir laissé voir toute ma faiblesse : eh bien ! elle était dans mon âme, et aucun de ses mouvements ne peut plus vous être caché. Quand elle a été animée par la haine, je vous l’ai bien fait voir ; est-ce donc que je ne pouvais me permettre que de haïr ? Mon ami, en relisant la récapitulation que vous me faites de tout ce qu’il y a au monde qui puisse m’empêcher de me perdre, j’ai fini par en rire, parce que