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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/182

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cela m’a rappelé un mot du président Hénaut, qui est joli. Dans une certaine époque de sa vie, il crut que, pour ajouter à sa considération, il fallait qu’il devînt dévot : il fit une confession générale, et il manda après à M. d’Argenson, son ami : Jamais on ne se trouve si riche que lorsqu’on déménage. Mon ami, vous m’avez fait éprouver le sentiment contraire, mon cœur en a tressailli, et j’aurais pu dire : Ciel ! je reste seule en l’univers entier. Mon ami, je vous cite à vous-même : vous m’êtes plus présent que Racine, et il me semble que mon sentiment prend de la force en employant vos expressions ; mais j’ai mille riens à vous dire : il faut détourner ma pensée d’un intérêt aussi triste que profond. — Je dînerai demain chez la duchesse d’Anville. Mon ami, j’aime cette maison : c’en est une de plus où je pourrai vous voir : vous vivrez pour ce que vous aimez et pour le monde tous les soirs ; mais ne dînerez-vous pas souvent avec moi ? Cela vous fera vivre dans la société des gens qui sont le plus à votre ton. Les bêtes et les sots ne se mettent guère en mouvement que sur les cinq ou six heures ; c’est alors que je reviens au coin de mon feu : j’y trouve presque toujours, sinon ce que j’aurais choisi, du moins ce que je n’éviterais pas. — Comment ne vous ai-je pas encore dit que je suis pressée, sollicitée d’aller rétablir ma santé chez milord Shelburne ? C’est un homme d’esprit ; c’est le chef du parti de l’opposition ; c’était l’ami de Sterne : il adore ses ouvrages. Voyez s’il ne doit pas avoir le plus grand attrait pour moi, et si je ne dois pas être fort ébranlée par sa prière obligeante. Convenez que, si vous aviez eu cette bonne fortune, vous ne l’auriez pas omise dans mon pompeux inventaire. — Oui, M. de Condorcet est chez madame sa mère : il tra-